11 novembre 2005

Les souvenirs d'Isidor Ducasse Acte 2 Scene V

J?avais, durant mon exil, deux amants, deux amours féminins mais autant qu?on puisse le croire.

La première était une splendide blanche, aux pieds plats et très fins ; une sorte de sirène, mais elle ne chantait pas. Je l?ai partagé avec un certain compte ; Isidore de son prénom (sic). Cette femelle requin avait une peau rugueuse, sur laquelle se dressaient de multiples lames de rasoir si bien aiguisées, qu'elles fendaient l'eau, l'air et la peau des marins rescapés du naufrage d'un agrément trop fragile. Ils agrémentaient un repas réputé, déjà bien riche en apport.

Lorsque sa grande gueule s'ouvrait, se déboîtait et se refermait sur le corps du malheureux, trois légions armées jusqu'aux dents le découpaient sous une pression de trois tonnes au mètre carré, puis digéré, il était régurgité au milieu aqueux et extérieur, afin cette fois ci de nourrir d'autres poissons plus petit, quelques crustacés croustillants, auxquels il ne pourrait même pas s'échapper.

Cette splendide femelle me laissait l'entourer de mes bras et de mes jambes, la caresser. Je ne m'y coupais pas ; Nous étions de la même espèce sauvage et si naturelle. Nous étions dans ce genre de jeux, si emmêlé, que nous ne parlions pas. Nos phéromones faisaient tout, même le rapprochement, même plus.

Lorsqu'elle partait, à travers les vagues et le sang de quelques marins, pour s'échapper de la mer conjugale, berceau de notre union libre, je retournais à des eaux plus douces, où les troncs d'arbre s'emmêlaient avec l'eau comme pour relier les trois éléments appartenant aux générations futures.

En quête de nourriture, car même si j'avais perdu cette appartenance à la race humaine, je n'en devais pas moins me repaître, je découvrais souvent quelques corps d'indigènes ou d'animaux divers, gorgés d'eau et quelque peu faisandés. En fait, je l'aperçu plus tard, avec le regret d'avoir pioché dedans, que ces corps se trouvaient être le garde manger d'une splendide crocodile. Cette alligator (C'est quasiment la même chose) mesurait environ cinq mètre soixante. A l'instar de mon premier, qui avait trois rangé de dents aiguës, artifices triangulaires de la mastication, mon second amour ne possédait qu'une seule rangée de trente-deux dents et deux caries, une technique de combat et d'approche qui n'était pas moins éblouissante :

Cachée dans quelques fourrées avoisinant, son lieue de prédiction (et non de prédication, même si je peux prédire, qu'une personne remarquée par un alligator n'aura pas une destinée bien longue, vu la rapidité d'action et l'art incomparable dont est doté cet animal ci-décrit) elle admire la délicieuse tranche de viande qui vient s'abreuver à la source d'eau fraîche.

Lorsque sa proie est endormie et commence à boire, l'animal se jette à l'eau, et en deux coups de pattes, sur sa nourriture. Attrapée, l'animal fait tourner sa proie dans l'eau, jusqu'à l'étouffer et la faire tourner de l'?il. Elle se noie. Il faut s'y prendre du premier coup, et ne jamais lâcher sa proie ; bien figer ses crocs dans la chair ; trouver une bonne prise et ne plus la perdre, sinon la proie est perdue, et il est bien difficile de la rattraper.

Nos douces étreintes étaient pareilles à ces recherches de nourritures : Violentes et pleine du sang s'échappant des balafres sanguines provoquées par nos griffes tranchantes. (N'allez pas trouver paradoxe, là où il n'y a que complémentarité, cela nuirait à votre compréhension.) nous vivions dans ce vivier, plus que d'amour et d'eau fraîche, mais bien de ces nourritures gorgées d'eau, bien mûres, si mûres que la peau se détachait un peu du reste du cadavre bien cuit, preuve de notre amour, qu'on portait l'un à l'autre. Amour qui fut enterré au fur et à mesure, que nous déterrions, désensablions les garde-manger, les substances utiles à notre croissance.

Bientôt, le désir de certaines femmes d'occident eut la néfaste influence de rabattre sur nos terres et nos eaux, des embarcations et des caravanes bondées d'hommes armés, sorte de chasseurs venus pour s'approprier des peaux de sac à main malléable à souhait. Mon amour fut pris pour ce type d'objet, et je fus contraint d'abandonner sa dépouille mortelle, sans pouvoir prendre soins d'un enterrement non religieux, mais sacré tout de même. Il eut fallu que je mangeaille ma mie.

Durant des années, je parcourus les mers à la recherche du requin blanc de ma
première jeunesse. A l'odeur vaporeuse et âcre de ce sang coagulé dans l?eau,
qui s?intensifiait, je sentais bien que je m?en rapprochais.

Cette odeur suivait les courants, ainsi que les évaporations liquides échappées des corps poursuivaient les vents. Je peux dire qu?en chemin, je voyais souvent des morceaux d?anatomie, digne du "Gérard " des cours de biologie des classes de collège. À force de persévérance, je la revis nageant fièrement entre deux eaux, avec deux autres requins blancs comme elle. Moi, qui croyait les requins asociales, raison suffisante à mon amour pour elle, telle fut ma déception. Allais-je tuer les amants ?

Je fuis, à l?avance vers d?autres marches, rentrant dans les ports en recherche d?une nouvelle âme s?ur. Mais au contact des hommes, je pourrissais. Je trouvais en leur cité les pires dépravations et les maux d?esprit. Aussi au bout de quelques décennies, ai-je réappris à marcher, afin de parcourir le désert, aléatoire enchevêtrement de dune toujours en mouvement, et enchâssement de grain de sable et de mirage. Il avait l?apparence d?une chambre capitonnée. J?ai pu y voir le silence. J?ai pu y crier tout mon chagrin d?être divorcé et out mon désespoir d?être veuf et délaissé. L?écho répondait à mes plaintes, il vagissait, en attendant la nuit des Ours?

La nuit des Ours.

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