02 novembre 2005

Les souvenirs d'Isidor Ducasse Acte 1 Scene II


Et pourtant, fatigué, et l??il éteint, ma pensée ne pouvait que se reposer. La télévision, éternelle orgie d?images, pantagruélique dévoreuse de cervelles, gargantuesque rongeur, brillait de sa céleste voûte, m?assommait de son festin, m?assenait jusqu?à la nausée.

Un cheval presque cadavérique posa son sabot crotté et en putréfaction sur le courant d?air créé par sa queue virevoltante, tournoyante comme des plumes de casoar, cette fausse fourrure d?oiseau raté. Son maigre cavalier subissait, à l?étroit sur sa selle, les sursauts de sa monture, en se balançant de droite à gauche, suivant le rythme effréné du pas chaotique de son étalon aux cents sangs mêlés. Ce bâtard avait longuement parcouru les sentiers et les courts chemins de terre battue, pour voir du paysage et quelques villages.

Son membre glorieux connaissait ainsi de multiples compagnes plus ou moins consentantes, qui se conduisait sur la paille, en véritable pouliche. Mais cela n?aurait guère de liens avec notre récit, si votre humble serviteur se mettait à vous décrire ces actes peu glorieux de l?histoire.

Le cheval, disais-je, posait son sabot sur quelques crânes tombés du cou des combattants - soldats (je vous en prie, sans jeu de mots) , qui vivaient encore quelques temps avant leur mort, et pouvant, dans cet état préliminaire , espérer vivre jusqu?à plus soif, et Dieu sait combien les soldats boivent ! De toute façon, ils n?ont que ça à faire dans l?enfer silencieux des casernes gouvernées par des gueux, bâties pour des sots.

Le cheval ainsi n?était autre qu?un puissant rugissement, un soupir sortit de la gaine du temps, la bajoue de votre présence, le silence de votre rêve.

Et son cavalier ?

Son cavalier se serait plutôt un vague fantôme de vos ombres stériles et hermétiques, ou plus précisément une table, une chaise et un plancher soutenant le tout à deux mètres au-dessus du sol, qui se trouve à 20 miles lieux sur les terres, au-dessus d?un niveau de la mer, qui lui-même représente, et on ne sait ni comment, ni pourquoi, le niveau zéro de la géologie.

Une pièce de rêve, une pièce élégamment rare ! ! !

Un morceau de choix, pour ce cheval, doué de l?extraordinaire pouvoir de vivre !

Te serais-tu assoupi, Ô ! nébuleux lecteur, devant cette fresque télévisuelle ? J'espère une réponse négative sinon il te sera nécessaire de recommencer depuis le début cette stance, oh combien amusante et élégiaque, digne d?un fabuleux écclésiasque, sans fausse modestie ni comparaison faussée par ces vers formés d?hexamètres et de pentamètres alternés. Cette alternance me plaît et me suffit.

Le mouchoir sur la bouche, pour ne pas avaler la poussière soulevée par les sabots du cheval du devant, et du Lieutenant, il parlait tout de même pour lancer des ordres et des injures aux autres hommes du groupe. C?est généralement donné à tous de donner des ordres, mais ceux qui aiment les faire exécuter sont de braves et gentils petits acariens sans importance, qui trouvent dans cet acte un moyen de se donner consistance et grandeur devant les chaussures, qui les écrasent. Il connaissait donc, puisque je me suis éloigné du texte, les voies pratiquées et praticables.

Jack, c?est son nom, était de ceux, qui étaient les plus vieux, et qui parcouraient depuis le plus de temps, ces terrains presque à l?abandon, en friche. Le vent y soulevait, à chaque fois qu?un fer frappait le sol, une pelletée de sable gris qui brûlait les yeux, brouillait la vue. Les grains de sable se mêlaient la sueur, pour en former une sorte de croûte qui teintait et solidifiait les habits. Les habits des hommes en étaient poussiéreux blanchis, comme un mur passé à la chaux. Le soleil se reflétait, se tordait, se tendait, et jusqu?aux bouts de ses doigts brûlants grillait les yeux, tannait les peaux et pénétrait par les pores de l?épiderme, pour en faire sortir un liquide saumâtre : La sueur. Pour se cacher de cet ennemi, les hommes portaient un chapeau de feutre noir, aux longs bords presque plongeants ; il les cachait et les protégeait. En cas de besoin, il pouvait également leur servir de bol pour boire, de serviette pour s?essuyer après les mains. Il était leur seule couverture, le soir après la veillée, après les chants accompagnés par une guitare, un banjo, ou plus rarement un violon.

Laissant les bêtes, ils accompagnaient les étoiles le temps d?une nuit courte, jusqu?au lendemain matin, où il faudrait se lever. Prenant leur courage à deux mains, puis le chemin, il montait sur leurs montures, les yeux cernés et fatigués, sans mot dire. Les sabots squelettiques continueraient à s?enfoncer dans le sable soulevé par le vent et la queue de l?hipparion fidèle, hésitant à chaque pas, pour ne pas tomber dans un trou caché. La nuit s?envolerait, laissant place au jour, au vent et au soleil.

Clic, J?éteignais la télévision, fidèle image de l?expression cercopithèque de l?homme actuel.

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