05 novembre 2005

Les souvenirs d'Isidor Ducasse Acte 1 Scene V

J?ai entendu le lent glissement des nuages sur le tapis des cimes des cyprès. Il était presque inaudible, comme cloîtrer dans une camisole de force, de feutre jaune et blanc. Ce frôlement était malgré tout vert, je le répète, il était vert, tâchant parfois les eaux de son encre volatile, et pourtant indélébile.

Les nuages venaient de l?Est et iraient mourir à l?Ouest dans un dernier craquement pluvieux ; entendez par là un orage. Ils accompagnaient en chemin, quelques volatiles immigrants vers d?autres contrées, plus appropriés à leur mode de vie, mais surtout, il faut bien l?avouer, riche en aliments fortificateurs. Ils s?approchaient du soleil à vols lents et aérés. En triangle, ou en une toute autre figure géométrique, les volailles se regroupaient, pour traverser des régions entières sans s?y poser. Ils n?échappaient pas aux clameurs des chasseurs, qui de leurs fusils, tentaient de les rejoindre. En fait ce sont les oiseaux touchés qui tombent pour les atteindre. Il en va de même pour tout ceux qui sont trop haut pour apercevoir les êtres mouvants au-dessous d?eux.

J?ai entendu le vent soupirer ; un lézard l?ayant également perçu, lâcha le morceaux de soleil qu?il tenait au chaud sur ses écailles, pour se faufiler entre deux cailloux instables d?un mur délabré ; les pierres s?effritaient et tombaient au bas du mur dans un bruit sourd et mûr pour effrayer la chouette effraie.

Avant de sortir de son austère caverne, il sortit sa langue en deux coups brefs, afin de sentir l?air extérieur et connaître le moment propice à une paisible et possible sortie. Ainsi, satisfait par le calme ambiant, comme tout solitaire, il dégage sa tête d?entre les pierres et regarde, en tournant la tête dans tous les sens. Il n?y a personne. Il avance alors une partie de son corps, recommence à humer l?air, continue à agiter sa tête, recommence , et finalement sort entièrement de son trou. Il n?a pas oublié qu?il était le jouet d?enfant assassin par décision divine de temps jadis. Alors, il reste inquiet, aux aguets, pour sauver sa peau froide. Ceci est le long résultat d?apprentissage transmis de génération à génération, à travers les lustres. Le zoologiste averti appellerait ça peut être l?instinct animal. Je préfère ne pas y penser.

Il n?en demeure pas moins, que les lézards traversent les nuages de leurs langues.

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