07 novembre 2005

Les souvenirs d'Isidor Ducasse Acte 2 Scene I

Me voici prêt pour la seconde partie de mon épopée, aussi vais-je m?y mettre sans plus attendre, peut-être lentement, ou alors rapidement, qui sait ?

J?ai longtemps voyagé en train, afin de travailler, ou juste voir du pays. Les voyages pouvaient durer plusieurs heures, mais ils n'étaient jamais ennuyeux, du moment où on a un livre à lire, de la musique à écouter, ou une jeune femme à regarder en douce mais attentivement.

Le train s?approcha lentement de la gare et de son quai, long comme une rade, qui étaient tout deux éclairés par quelques lampadaires pendus dans le ciel, dont la lumière diffusait et se répandait sur le sol parmi ceux qui attendaient le train.

Lorsqu?il s?arrêta, par à coup, comme un paraplégique lors d?une crise de comitialité, la foule s?entassa prés des portes, prête à monter dans le wagon déjà bombé. Presque mécaniquement, les pas se rapprochaient, empressés, des marches métalliques de la plate-forme de la voiture, dans un bruit d?acier. Puis, ils s?approchaient hâtivement des sièges jaune orange, presque usés.

Toute habillée de noire, avec une écharpe rouge qui entourait son cou, Elle s?approcha lentement, après tout le monde ; elle semblait un peu rêveuse, la passagère du banc d?en face ; seules ses mains qui portaient des gants blancs et fins bougeaient de temps en temps : elle croisait et décroisait ses doigts effilés au rythme de son sommeil interne. Une petite mèche de cheveux, qui reflétait la lueur, léchait son visage, ses lèvres dont la serrure était fermée, puis ses yeux dont les secrets étaient gardés. Elle paraissait avoir un regard froid, et une sorte d?attitude qui dépareillait avec celle des autres occupants du wagon.

Un rictus aux lèvres les soulevait et laissait apparaître un petit sourire, peut-être involontaire presque narquois. Sa petite main faite de céramique ou de cire blanche crémeuse, fondue pour des cierges, telle celle des poupées anciennes, passait de temps à autre dans ses cheveux, et venait perturber les éclairs présents dans les sillons capillicoles.

Au rythme de la rame, tout son corps semblait ballotter, tremblait comme celui d?un épileptique touché par une de ces crises, qui laisse pour mort ceux qu?y l?ont, et effrayent ceux qu?y ne savent pas, ce qu?il se passe, et venait heurter de son duffle-coat bleu marine presque noir, les plaques de plastique du train, ou la vitre, selon le mouvement aléatoire de la masse d?eau interne.

Le train s?approchait lentement de la gare Saint-Lazare, et freinait de peur d?y entrer, sans pouvoir s?en sortir : une taupe devant un terrier enfumé. Lors du flot aqueux descendant du train, je la perdis de vue, même si elle avait été qu?un court instant, une création de ma vue perturbée, et de ma plume. Il me reste parfois dans le métro, un petit reste de parfum, preuve que l?odorat garde aussi bien, si ce n?est mieux le souvenir d?une femme.

Ses genoux la soulevèrent tremblants, au sortir d?un rêve, happés par une vaine sortie dans la réalité. Même si ma plume, au contraire de mes yeux, ne l?a pas assez détaillée, demain, une autre inconnue viendra, le cours d?un instant, peupler mon rêve de sa présence et de tout ce que mon imagination peut bien en faire.

Mais les soubresauts du train me montrent les varices qui lézardent des jambes graisseuses des secrétaires de carrières obèses. Ces mortadelles ficelées dans leurs habits de travail, se balançant comme un jambon à son crochet. A cette vue, je me hâte de reprendre un livre, ou de pencher ma tête à une fenêtre noircie, afin de penser à la passagère du banc d?en face.

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