08 novembre 2005

Les souvenirs d'Isidor Ducasse Acte 2 Scene II

Il faut parfois faire l?éloge de certaine personne. J?ai longuement repensé à ce père de famille, parti en mer, alors que sa femme était morte, laissant à terre, dans un pensionnat ou une famille chargée de la gardée, sa fille à peine adolescente. Il écrivait si souvent des lettres, qu?il paraissait l?aimer, et ?uvrer pour son bien.

Je vais vous retranscrire une de ces preuves d?amour.

Ma fille
Je t?écris à présent du pont du "Saint Jérôme" Je suis marin le temps d?une traversée, pour te rapporter du bout du monde des colliers, des pierres dont tu ne soupçonnais pas l?existence, moi non plus d?ailleurs, et des histoires comme tu les aimes tant.

Tel que j?ai commencé la lettre, ce n?est pas tout à fait vrai. En fait je suis assis à une terrasse de café, pour ma première libération. Ca fait du bien de se retrouver sur la terre ferme, le temps d?une pause, et ne plus avoir la mer qui te balance ou la voir frapper la coque du bateau, comme un forgeron cogne son enclume pour l?aplatir.

Je dois l?avouer, la mer me remonte sur l?estomac, elle le vide presque à chaque fois que je le monte dessus. C?est presque une cheval sauvage qu?on essaye de monter à cru. Elle bouge, remue et rue, jusqu?à ce que tu ne puisses plus rester dessus serein. Elle te frappe, te soulève, te remue dans tous les sens, afin de te sonner. Et là, elle t?achève, je t?assures Sylvie ; je pense que tu serais presque contente d?être avec moi, cela t?éloignerait sûrement un peu des souvenirs de ta mère. Et ici, tu aurais l?impression d?être sur ton animal préféré.

Mais, j?espère de tout mon c?ur, que tu ne viendras pas sur ce bateau. Pour une femme, ce n?est de tout repos, et pour toi, qui est encore si jeune, tu ne trouverais ici que le funeste relent mâle, qui pince les fesses des jeunes filles, pour voir si ils peuvent aller plus loin, si elle en pincent pour un marin comme nous. Cela m?éc?ure souvent, m?amuse parfois, mais je t?assure que sans arrêt j?ai ton visage et ton nom comme morale. Je ne ferai jamais devant toi, ce que je fais ici. L?effet de groupe est vraiment une chose immonde. Un homme dans une société d?hommes perd tout ce qui le rend désirable. Sans femme, sans sa (ses) compagnes, il est privé de toutes les raisons de vivre ; il se laisse aller à la pire dépravation.

Le tableau de ce bateau ne doit pas te sembler si noir ; j?y gagne de quoi te nourrir, te payer ton école et te rapporter ces souvenirs, comme jamais aucun père ne pourrait le faire.

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