02 octobre 2005

Comte de Lautréamont - Malodoror - Chant premier

On doit laisser pousser ses ongles pendant quinze jours. Oh ! Comme il est doux d' arracher brutalement de son lit un enfant qui n' a rien encore sur la lèvre supérieure, et, avec les yeux très-ouverts, de faire semblant de passer suavement la main sur son front, en inclinant en arrière ses beaux cheveux !
Puis, tout à coup, au moment où il s' y attend le moins, d' enfoncer les ongles longs dans sa poitrine molle, de façon qu' il ne meure pas ; car, s' il mourait, on n' aurait pas plus tard l' aspect de ses misères.
Ensuite, on boit le sang en léchant les blessures ; et, pendant ce temps, qui devrait durer autant que l' éternité dure, l' enfant pleure. Rien n' est si bon que son sang, extrait comme je viens de le dire, et tout chaud encore, si ce ne sont ses larmes, amères comme le sel.
Homme, n' as-tu jamais goûté de ton sang, quand par hasard tu t' es coupé le doigt ? Comme il est bon, n' est-ce pas ; car, il n' a aucun goût.
En outre, ne te souviens-tu pas d' avoir un jour, dans tes réflexions lugubres, porté la main, creusée au fond, sur ta figure maladive mouillée par ce qui tombait des yeux ; laquelle main ensuite se dirigeait fatalement vers la bouche, qui puisait à longs traits, dans cette coupe, tremblante comme les dents de l' élève qui regarde obliquement celui qui est né pour l' oppresser, les larmes ? Comme elles sont bonnes, n' est-ce pas ; car, elles ont le goût du vinaigre. On dirait les larmes de celle qui aime le plus ; mais, les larmes de l' enfant sont meilleures au palais. Lui, ne trahit pas, ne connaissant pas encore le mal : celle qui aime le plus trahit tôt ou tard... je le devine par analogie, quoique j' ignore ce que c' est que l' amitié, que l' amour (il est probable que je ne les accepterai jamais ; du moins, de la part de la race humaine).
Donc, puisque ton sang et tes larmes ne te dégoûtent pas, nourris-toi, nourris-toi avec confiance des larmes et du sang de l' adolescent. Bande-lui les yeux, pendant que tu déchireras ses chairs palpitantes ; et, après avoir entendu de longues heures ses cris sublimes, semblables aux râles perçants que poussent dans une bataille les gosiers des blessés agonisants, alors, t' ayant écarté comme une avalanche, tu te précipiteras de la chambre voisine, et tu feras semblant d' arriver à son secours. Tu lui délieras les mains, aux nerfs et aux veines gonflées, tu rendras la vue à ses yeux égarés, en te remettant à lécher ses larmes et son sang.
Comme alors le repentir est vrai ! L' étincelle divine qui est en nous, et paraît si rarement, se montre ; trop tard ! Comme le coeur déborde de pouvoir consoler l' innocent à qui l' on a fait du mal : " adolescent, qui venez de souffrir des douleurs cruelles, qui donc a pu commettre sur vous un crime que je ne sais de quel nom qualifier !

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