05 janvier 2001

Pirates, à l'abordage !

Pirates, à  l'abordage! Pirates! Non pas corsaires, ces mercenaires de la mer qui agissaient avec une lettre de marque! Non, pirates! C'est-à -dire hors la loi, sans concession ni garde-fous, sans foi ni loi, sans dieu ni maître. Aucun romantisme chez les pirates. Aucune pitié à  attendre de leur part car ils n'en espèrent aucune. La règle est simple : arrêtés, ils sont exécutés.
Par Esp@ce Net Sarl

Au Musée de la Marine, à  Paris, ils sont là . Ils hantent les coques, ils escaladent les mà¢tures, dévalent les haubans, déchargent leur mitraille et sabrent à  tour de bras. Ils sont là  pour terrifier les honnêtes gens et les honnêtes gens en raffolent! Douglas Fairbanks s'agite sur un écran géant, au milieu de la pièce centrale de l'exposition, dans le premier film en couleur de l'histoire du cinéma : Le Pirate noir (1926). D'autres affiches nous montrent Errol Flynn, Charles Laughton, dans les classiques du genre. A vrai dire, l'exposition ne brosse pas toute leur geste, elle occulte la piraterie barbaresque, ne rappelle pas que les héros d'Homère étaient aussi des pirates. Pavillon d'Every Elle parle surtout de la piraterie anglaise du début du XVIIIe siècle, la plus mythique, autour des figures incroyables de John Rackam dit Calico Jack, Edward Teach, dit Barbe Noire, le capitaine Kidd–Un français dans cette galerie de vauriens : l'Olonnois, un être cruel qui finira cruellement mangé par des cannibales au Honduras.
Frères de la côte

Cette piraterie s'incarne dans le drapeau noir à  la tête de mort et aux tibias croisés, le fameux Jolly Roger, qui se popularise surtout–au moment où la piraterie entame son déclin. L'exposition nous emmène sur l'île de la Tortue, la « patrie » des flibustiers et des boucaniers, ceux qui se nomment entre eux « frères de la côte ». Un flibustier est, selon les circonstances, un pirate ou un corsaire. Disons que c'est un travailleur spécialisé contre les Espagnols qui opère dans les Antilles. Normalement, il a une commission, mais parfois non, ou alors très fantaisiste (l'un d'entre eux avait comme lettre de marque une autorisation d'un gouverneur danois l'autorisant à  chasser les chèvres! ). Pavillon d'EEmanuel WynneSon alter ego est le boucanier. Celui-ci est d'abord un chasseur qui approvisionne les marins en cochon sauvage, boucané, puis qui va rejoindre son cousin de fortune quand les Espagnols vont vouloir les exterminer, excédés par leur audace. Maracaibo, Panama, Vera Cruz, Carthagène sont mises à  sac, parfois plusieurs fois. Les galions qui transportent l'or des Amériques sont pris d'assaut par des hordes qui s'entassent sur des coques de noix. En 1701, le règlement de la Succession d'Espagne signifie sa fin.
Les flibustiers qui ne se rangent pas deviennent définitivement des pirates. D'autres marins célèbres ont eu un statut ambigu, comme les « chiens de mer » de la reine Elisabeth d'Angleterre, la protestante : Francis Drake, Walter Raleigh, John Hawkins. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, ils s'attaquent avec des moyens ridicules aux flottes et aux ports espagnols. Ils ramènent leurs trophées en Angleterre, leurs malles pleines d'argent, et d'abord la reine fait semblant de les morigéner car l'Angleterre n'est pas officiellement en guerre contre l'Espagne et ils n'ont pas de mandat officiel, puis–elle les anoblit.
Que recherchent-ils, ces pirates ?

L'argent, l'aventure, le risque, la mort. Ils ne veulent aucune entrave. Ils refusent toute inféodation, toute autorité, sinon celle qui les lie au moment de l'attaque. Ce sont des marginaux, des réprouvés, voire des pestiférés. En devenant pirate, ils abandonnent leur ancienne identité, leur nom au profit d'un sobriquet, d'un surnom. Ils ne portent aucun message social, aucune revendication globale. Les pirates fonctionnent selon des règles particulières, à  la fois individualistes forcenés, démocrates et guerriers obéissants. Leur code est très strict quand il s'agit de monter à  l'abordage, d'empêcher les querelles internes, et il s'avère très démocratique quand il faut répartir le butin, prendre des décisions sur la destination, les objectifs, élire le capitaine et le quartier-maître. L'équipage signe une chassepartie.
Celle-ci codifie les prises :
  • deux parts pour le capitaine
  • une part et demie pour le quartier maître
  • une part et quart pour les autres officiers
  • une part pour les membres de l'équipage.
On le voit, l'échelle de salaire est réduite, à  la japonaise plutôt qu'à  l'américaine. Jean-Marie Messier n'aurait guère pu imposer ses émoluments fabuleux alors que son navire prenait l'eau. Le capitaine a plein pouvoir pendant la chasse mais qu'il veuille ensuite s'imposer en tyran et son équipage le tue ou le dépose sur une île déserte. La chasse-partie distribue également des indemnités pour accident de travail ! Le pirate est cruel, soit. Il pille, il viole, il torture, il tue. Quand son navire se profile sur l'horizon, les paisibles marins marchands tremblent. Et pourtant, pour un matelot traité pire qu'un chien, être capturé par un pirate peut être l'occasion de quitter une vie de misère absolue contre l'espoir d'une vie meilleure.
Rejoindre un équipage pirate, c'est bien sà»r renoncer à  tout jamais à  revoir son pays, sa famille, mais c'est aussi pouvoir avoir son mot à  dire et choisir un peu son propre destin, fà»t-il court et sanglant. Dans cette société où la moralité n'est guère une vertu affichée, où la tempérance est soluble dans l'alcool, mais à  terre uniquement, les femmes sont interdites à  bord. Deux exceptions notables, cependant, mais travesties : Ann Boney et Mary Read, croisant au large de Cuba dans les années 1718-1720. Quel destin extraordinaire que celui de la première nommée! Fille d'un notable, elle s'enfuit avec un matelot puis rejoint l'équipage pirate de Rackam, dont elle devient la maîtresse. Arrêtée, condamnée à  mort, elle est sauvée parce que enceinte, « plaidant son ventre »! Après 1750, la piraterie, qui a compté jusqu'à  cinq mille hommes dans les Caraïbes, perd beaucoup de son pouvoir de rétorsion. Seuls les Barbaresques s'illustrent encore sur une grande échelle, mais ils se sont institutionnalisés.
Au début du XIXe siècle, ce sont les Pavillon Américains qui sont les plus touchés par la piraterie mais ils sauront aussi utiliser les services du Français Jean Laffitte, mi pirate-mi corsaire, contre les Anglais. Ce Jean Laffitte finira, lui, au terme d'une vie bien remplie, par subventionner la publication du manifeste communiste de Marx et Engels !
L'art s'est intéressé aux pirates. Des peintres américains, à  la fin du XIXe siècle, vont les immortaliser : Howard Pyle et Norman Cornwell Whyeth. Au XXe siècle, c'est le cinéma et la BD qui vont s'emparer de la thématique pirate, la détournant souvent, gommant son nihilisme pour un anarchisme plus acceptable. Alors, les pirates, des hommes d'un passé mythifié autour du folklore d'un Robert Louis Stevenson : jambe de bois, bandeau sur l'Å“il, crochet, île au trésor ?
Non, les pirates ne sont pas morts, même si l'exposition n'en dit rien. Ils écument la mer de Sulu, au large des Philippines, ils affolent les bateaux le long des côtes indonésiennes. Ils rançonnent les équipages, les passagers, même ceux des boat people. Honnêtes gens, continuez à  trembler (et à  rêver)!
[FDLC2K1] - Ombres

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour,

Je me permets de laisser un commentaire pour vous signaler deux erreur commises dans votre post. En effet, réalisant un mémoire sur la piraterie, votre blog m'a naturellement intéressée et j'ai eu l'occasion de lire beaucoup d'informations à ce sujet.

La première erreur que j'aurais souhaité vous signaler est celle que vous faîtes sur les motivations des pirates. Vous annoncez qu'aucun pirate n'a d'idéal social, par exemple. Or ceci est complètement faux. Nombreux sont les pirates qui rêvaient de liberté, d'égalité, d'équité, et qui se sont faits pirates en réaction aux systèmes existants sur la terre ferme. Je ne citerai qu'un seul exemple, Misson, qui fonda la petite république de Libertalia. Et je pourrais en citer encore d'autres (Nathaniel North par exemple).

La deuxième erreur que j'aurais aimé corrigé est celle à propos des femmes pirates. Elles ont toujours existé, et ce, bien avant Anne Bonny et Mary Read même si celles-ci sont les plus connues, je vous l'accorde. Les femmes pirates sont loin d'être un fait exceptionnel.En effet, la condition de pirate était pour ces femmes une échappatoire : elles étaient libres de leur temps et de leurs actes, elles n’étaient pas soumises à une famille ou un mari, elles échappaient à la prostitution, elles n’étaient pas dépendants financièrement. Certaines ont suivi leur amant, d’autres se sont travesties en homme pour entrer dans la piraterie ou d’autres ont poursuivi la tradition familiale. Et on pourra citer en exemple Cheng I Sao, pirate chinoise dirigeant à elle seule 20 000 jonques et 80 000 pirates dont des femmes, ce qui en fait la pirate la plus puissante de tous les temps. On peut citer également Rachel Wall, Grace O'Malley, et celle qu'on surnomma la Reine des pirates, en Inde.

Je ne fais ceci que par souci d'exactitude historique, bien sûr, et n'ai aucune satisfaction personnelle à étaler ces faits. Il s'agit simplement de dire ce qui est la réalité, afin qu'elle ne soit pas réutilisée et déformée ensuite.