06 janvier 2001

Histoire et vie des flibustiers, pirates et corsaires de la Jamaique et de St-Domingue

Les Frères de la Côte

Qu'est-ce qu'un flibustier? Est-ce seulement un pirate? Un corsaire? Ou les deux à  la fois? Trois cents ans après la fin de l'âge d'or des flibustiers, cette question n'est pas si anodine qu'elle y paraît. Durant cet intervalle, ces mots ont changé de signification. Pour cause, depuis l'abolition officielle de la qualité de corsaire vers le milieu du XIXe siècle, toute personne vivant du pillage en mer est un hors-la-loi. Auparavant, selon les époques et les pays, il existait nombre de qualificatifs désignant le métier de pirate, chacun ayant ses nuances propres. Aujourd'hui ils sont tous devenus synonymes de pirate, lui-même le hors-la-loi des mers par excellence, ce qu'ils n'ont pas toujours été.

Par Raynald Laprise

D'abord le mot pirate. D'origine grecque, il garde, du moins en français et ce jusqu'au début du XVIIIe siècle, son sens premier: «celui qui tente la fortune sur mer»; sens englobant tous les côtés positif et négatif de cette définition, sans toutefois que l'un ne l'emporte sur l'autre. L'aspect négatif du métier est représenté par les termes de voleur et brigand que lui appliquent ses victimes; aussi par celui de hors-la-loi que leur donne soit l'état auquel il appartient mais qu'il aura renié ou celui dont les possessions et ressortissants subissent les activités. En français, l'on qualifie, dans ce cas, le pirate de «forban», mot signifiant littéralement «hors du banc», c'est-à -dire hors la loi.

A l'opposé du forban, le corsaire, lui, est un pirate patenté, dûment autorisé par un état ou un prince souverain à  exercer son métier. L'autorisation en question prend la forme d'un document légal généralement nommé commission, qui seul peut conférer la qualité de corsaire.
Les Anglais nomment les leurs «privateers», que l'on traduit invariablement en français par «armateurs». En effet, le «privateer» est le particulier, la personne privée, qui arme, commande ou monte un navire destiné à  faire la guerre sur mer aux ennemis de l'état et aussi... aux forbans.
Quant au mot flibustier, il apparaît en français pour la première fois dans les années 1630 sous la forme «fribustier», du contact des aventuriers français avec les corsaires hollandais et zélandais alors nombreux à  écumer la mer des Caraà¯bes. En effet, Il tire son origine du néerlandais «vrijbuiter»: «libre faiseur de butin». Paradoxalement ce mot néerlandais, tout comme son équivalent anglais «freebooter», ne s'applique pas exclusivement au domaine maritime. Dans son English Dictionary, paru en 1676, Coles définit ainsi le «freebooter»: soldat qui fait des incursions en pays ennemi pour prendre du bétail, etc. ou qui sert (pour le pillage) sans salaire.
Dans cette définition se retrouve le profil même des bandes armées privées qui sévirent dans les guerre européennes, louant leur services aux divers belligérants, à  partir de la fin du Moyen à‚ge et qui connaîtront, au XVIIe siècle, durant la guerre de Trente ans, une sinistre renommée. Toutefois, flibustier et freebooter ne seront pas synonymes. Appliqué au monde de la mer, l'anglais freebooter équivaudra au «pirate» anglais et au forban français. Quant à  son dérivé français - flibustier-, il décrira plutôt une sorte de condottiere de la Méditerranée américaine, dont les caractéristiques sont les suivantes:
    • Il est le pirate, très souvent corsaire, écumant les mers en Amérique où sont ses bases, mais aussi le soldat qui tente la fortune à  terre par l'attaque des bourgs, villages et villes ennemis.
    • Ses proies comme ses ennemis sont, presque toujours, sinon principalement, espagnols.
    • Il fournit ses propres armes pour faire la guerre et très souvent son propre bâtiment. A ce titre, il est un entrepreneur de guerre.
    • Enfin, il ne vit que sur le butin qu'il fait, ce que résume bien l'expression anglaise alors en usage: «no purchase no pay», substitué parfois, avec plus de justesse, par «no prey no pay».

Mais la meilleure définition revient encore au sieur de Pouancey qui les connaissait fort bien pour avoir été en expédition avec eux et qui écrivait en 1677:

Il y a encore ici plus d'un millier de ces hommes qu'on appelle flibustiers... Ils ne vont en descentes sur les Espagnols et en courses que pour avoir de quoi venir boire et manger au Petit-Goâve et à  la Tortue, et n'en partent jamais tant qu'il y a du vin ou qu'ils ont de l'argent ou des marchandises ou crédit pour en avoir. Après quoi ils font choix du capitaine ou bâtiment qui leur convient le mieux, sans en épouser aucun, car ils n'embarquent que pour huit jours de vivres ordinairement. Ils quittent partout où il leur plaît; ils obéissent très mal en ce qui concerne le service du vaisseau, s'estimant tous chefs, mais très bien dans une entreprise et exécution contre l'ennemi. Chacun a ses armes, sa poudre et ses balles. Leurs vaisseaux sont ordinairement de peu de force et mal équipés et ils n'ont proprement que ceux qu'ils prennent sur les Espagnols.

Les origines du flibustier remontent aux premiers voyages entrepris vers l'Amérique occupée par les Espagnols par les Français et les Anglais. Ces voyages, qu'ils eussent pour but la contrebande ou le pillage, étaient qualifiés de voyage à  la grosse aventure, aventure étant ici pris dans le sens de risque encouru par les armateurs, donc un voyage très hasardeux et risqué. D'où, par extension, le nom d'aventuriers que l'on applique parfois aux flibustiers. De là  aussi un assouplissement forcé des règles régissant le voyage en mer qui va donner naissance à  la grande apparence de liberté qui caractérise le métier de flibustier.
Avec le temps, le nombre de corsaires et de contrebandiers étrangers sillonnant les voies maritimes de l'Amérique espagnole alla en augmentant. Des liens d'amitié se nouèrent avec certaines populations, notamment avec des tribus indiennes hostiles à  l'Espagnol mais aussi avec des sujets rebelles de l'Espagne, qu'ils fussent Indiens, noirs, mulâtres, métis, voire Espagnols.
De plus, comme l'Espagne ne pouvait contrôler ni occuper la moindre des côtes et des îles de la mer des Caraà¯bes, les navires étrangers en vinrent à  privilégier certaines escales plutôt que d'autres pour leurs ravitaillements, par exemple les petites Antilles et des endroits comme l'île à  Vaches, à  la côte sud-est d'Hispaniola. Ces escales devinrent bientôt très fréquentées, sinon obligées. En arrivant à  l'une d'elles, une partie de l'équipage d'un navire (ainsi que ses soldats s'il s'agissait d'un corsaire) pouvait facilement, si elle jugeait que le voyage ne leur profitait pas, se dégrader volontairement à  terre pour attendre le passage d'un autre vaisseau sur lequel ces hommes pourraient mieux trouver leur compte ou retourner simplement en Europe plus rapidement.
Ces marins et soldats s'estimaient alors dégagés du contrat initial les liens à  l'armateur. Dès le début du XVIIe siècle, cette pratique se répand. A la fin des années 1620, l'établissement de colonies permanentes par les Anglais et les Français sur les petites Antilles sera donc surtout l'oeuvre de corsaires et de contrebandiers, tel Pierre Belain d'Esnambouc, qui les connaissent fort bien. Mais le principal désavantage de ces nouvelles colonies résident dans le fait qu'elles sont complètement en dehors des voies maritimes du commerce espagnol. En fait, ces îles ne sont que la porte d'entrée de la mer des Caraà¯bes, tant pour les Espagnols que pour les corsaires qui les chassent. Or ceux-ci ne fréquenteront donc qu'à  l'aller les petites Antilles préférant ensuite relâcher en Europe, le voyage de retour vers les celles-ci étant, à  cause du régime des vents, presque plus long.
L'autre désavantage des petites Antilles comme escale corsaire est constituée par sa pauvreté en ravitaillement notamment en vivres. Il n'y a pas là  de gros gibiers, source de viande, denrée indispensable du voyage en mer. En revanche, les grandes îles, sous contrôle espagnol, en sont pourvues abondamment: les boeufs, chevaux et porcs, importés par les Espagnols qui sont retournés à  l'état sauvage dès le XVIe siècle et se sont depuis multipliés. Là  s'est développé une petite industrie de chasse qui attirent des esclaves fugitifs, quelques Indiens, des mulâtres surtout et parfois même des Espagnols. Ces hommes, souvent en rupture de ban, chassent principalement le boeuf sauvage pour son cuir d'une grande valeur commerciale et le porc pour sa viande.
De l'un et l'autre, ils ont pris l'habitude de ravitailler les corsaires et contrebandiers anglais, français et néerlandais qui font escale aux côtes de l'île Hispaniola. Au fil des années, ces chasseurs sujets de l'Empire espagnol vont être graduellement remplacé par des Français, des Anglais et des Néerlandais sur ce que l'on appellera, en français, la côte de Saint-Domingue, qui correspond à  la partie occidentale d'Hispaniola que les Espagnols ont complètement abandonnée dès le début du XVIIe siècle pour justement tenter de réduire le commerce illicite pratiqué par ses habitants avec les étrangers.
Les boucaniers

Les nouveaux chasseurs apparaissent dans les années 1630. Ils diffèrent de leurs prédécesseurs et bientôt concurrents par leur technique de chasse. Alors que les premiers utilisaient la lance en forme de croissant pour tuer les boeufs, les nouveaux venus privilégient le fusil de chasse de très gros calibre. Très tôt, en français, on leur donne ou ils adoptent eux-mêmes un nom particulier: boucaniers, du nom du boucan mot indien désignant le lieu où l'on fume la viande. Leur adresse au tir va les faire grandement apprécier des corsaires. D'ailleurs, certains boucaniers ne sont-ils pas eux-mêmes d'anciens corsaires. Même s'il est faux de croire que tous les boucaniers furent des flibustiers ou l'inverse, leur implication, dans la flibuste, les rend incontournables (pour une description détaillée de leur mode de vie, voir une lettre de Deschamps du Rausset de 1663 ainsi que les extraits des livres de Dampier, Dutertre et Exquemelin). Comme les flibustiers, ils sont souvent décrits comme turbulents, indisciplinés et réfractaires à  toute forme d'autorité. Mais ils ne sont pas pour autant coupés du reste du monde.
Le temps passant, certains boucaniers auront leurs propres correspondants, un associé ou un parent, dans les ports de France, de Hollande ou de Zélande. Quelques uns deviennent même de véritables entrepreneurs de chasse. C'est le cas d'un certain Minedorge que l'on retrouve, en 1664, à  Dieppe pour vendre ses cuirs et qui, dix ans plus tard, y revient pour recruter des chasseurs. Leur métier demeure néanmoins l'un des plus durs qui puissent s'exercer en Amérique. La chasse au boeuf sauvage n'est pas de celle qui se pratique en solitaire.
Les boucaniers s'associent parfois en groupe de 10 à  30 hommes, incluant les maîtres chasseurs et leurs engagés (car à  l'exemple des colons ils viennent à  posséder aussi des serviteurs), toujours accompagnés d'une meute de chiens. A Hispaniola, sur la côte de Saint-Domingue, leur nombre atteindra son maximum au début des années 1665, de 700 à  800 chasseurs. Les boucaniers sont alors majoritairement français et quelques uns d'entre eux on déjà  commencer à  jeter des bases de colonisation le long de la côte de Saint-Domingue, en fondant de petites habitations aux vieilles escales corsaires que sont Léogane et le Petit-Goâve où ils commencent à  cultiver du tabac. Mais les boucaniers iront en diminuant au fil des ans, suite à  la raréfaction du bétail sauvage, presque exterminé par la chasse intensive pratiquée tant par les boucaniers eux-mêmes que par leurs homologues espagnols: une trentaine d'années plus tard, le métier aura pratiquement disparu.
Le nom de boucanier prendra, surtout en anglais («buccaneer»), un connotation tellement péjorative qu'il en viendra à  désigner aussi le pirate. Dans les années suivant la conquête de la Jamaà¯que, les Anglais font pourtant appel à  ces chasseurs pour les aider à  vaincre les derniers foyers de résistance espagnole dans l'île; ceux-ci prendront ensuite part aux premiers armements flibustiers de la jeune colonie. Mais les boucaniers de Saint-Domingue n'ont pas besoin des Anglais pour s'engager dans la flibuste qu'il pratique déjà , à  bord parfois de simples canots, en volant des bâtiments marchands venus traiter à  la Côte ou en pillant, évidemment, les Espagnols qui s'y risquent.
Dans la décennie 1660, le nombre d'anciens boucaniers composant les équipages des flibustiers sera assez important pour que même en français le nom tende à  devenir synonyme de flibustiers. Mais, comme il est mentionné ci-dessus, les boucaniers ne sont pas impliqués seulement dans l'armement des corsaires et pirates. Il le sont aussi dans la colonisation de la côte Saint-Domingue peut-être plus encore car le nom est souvent appliqué aux habitants de cette colonie. Même plus, à  la côte Saint-Domingue, les intérêts des habitants, des boucaniers et des flibustiers sont tellement liés qu'un très fort esprit de corps se développe et qui donnera naissance à  l'expression «Frères de la Côte».
Les effectifs de la flibuste

En tout, durant la période comprise entre le traité de Westphalie (1648) et le début de la guerre de la ligue d'Augsbourg (1689), environ 1500 hommes au minimum exercent chaque année, en Amérique, le métier de piller sur mer et sur terre les Espagnols. Pour la plupart, ils fréquentent, de préférence, soit la colonie anglaise de la Jamaà¯que (à  partir de 1655) soit sa rivale française de l'île de la Tortue et côte de Saint-Domingue (dès 1648), toutes deux situées au centre des principales voies maritimes de la mer des Caraà¯bes. Ils y ont souvent d'ailleurs acquis des intérêts ou des obligations, qui, outre les avantages que ces lieux de relâche leur offrent, les obligent à  y revenir, car le pirate qui erre sur les mers, sans attache, se condamne lui-même à  la mort.
Plusieurs flibustiers évidemment sont marins de profession, ayant précédemment servi tant à  la course qu'au commerce, parfois même à  la guerre sur un navire du roi. Ce sera le cas, entre autres, de William Dampier. Quelqu'uns, surtout chez les Anglais car ils sont plus nombreux dans ces mers, sont des déserteurs qui profitent de l'escale à  Port Royal, la Tortue ou à  Saint-Domingue pour passer à  la flibuste. Parmi eux vont se recruter les spécialistes de la navigation et de la manoeuvre du vaisseau. Certains ont exercé par le passé des métiers essentiels pour un voyage en mer en général: ceux de charpentier et de chirurgien, l'un prenant soin du navire et l'autre de l'équipage. Mais une très grande proportion de flibustiers n'entrent pas dans ces catégories. Ces hommes, sans expérience préalable de la mer, sont venus en Amérique soit volontairement pour y chercher fortune et aventures soit par obligation pour fuir la potence, des créanciers, la persécution religieuse, etc. Une minorité, ceux qui possèdent assez d'argent, a pu monter une habitation et s'établir dès le début comme planteurs avant d'être contraints, par diverses raisons, de se joindre aux flibustiers.
Pour le reste, la seule solution possible de faire le voyage vers l'autre côté de l'Atlantique consiste à  se vendre littéralement pour servir pendant trois ans un habitant ou un boucanier aux Antilles, d'où le nom de «trente-six mois» qu'on leur donne parfois en français par dérision. Ils sont appelés généralement «engagés», les Anglais nommant les leurs «indentured servants». La condition de ces engagés est aussi peu enviable que celle d'un esclave :
les témoignages d'Exquemelin et de Ravenau qui commencèrent comme engagés leurs aventures en Amérique le prouvent. Elle a si mauvaise réputation que certains, à  l'exemple de Dampier, préfèrent payer leur passage en Amérique par divers services qu'ils rendent au capitaine du navire qui les y porte plutôt que d'essayer ce genre de vie. Alors beaucoup d'engagés, à  l'expiration de leur contrat ou même avant en s'enfuyant de chez leur maître, viennent grossir les rangs des flibustiers. S'ils ne connaissent pas les choses de la mer, ces anciens boucaniers, habitants et engagés en apprennent les rudiments sur le tas.
En effet la vieille distinction, souvent rivalité, entre marins et soldats qui prévalait à  bord des corsaires armés en Europe avant la formation de colonies non-espagnoles dans les Antilles n'existe plus chez les flibustiers où tous sont égaux en principe. Il en va autrement des différences nationales. Dans les équipages relevant de la Jamaà¯que, l'élément anglais domine. Même constat, à  partir de 1672, pour certains flibustiers ayant pour port d'attache l'île de la Tortue puis le Petit-Goâve, à  la côte Saint-Domingue. Mais cette prépondérance anglaise est difficile à  chiffrer. Une liste incomplète évalue les flibustiers fréquentant la Jamaà¯que, à  la fin de 1663, à  environ 1200, dont les deux tiers sont Anglais et le tiers restant Français. De même lors de l'expédition de Panama (1670), les équipages français représentent aussi environ un tiers des effectifs de l'amiral jamaà¯quain Morgan. Cette proportion deux tiers un tiers se retrouve parfois aussi à  l'échelle du bâtiment.
Ainsi en 1678, l'équipage du corsaire Lemoign est composé au deux tiers par des Anglais, venant pour la plupart de la Nouvelle-Angleterre. Mais il demeure impossible, sinon difficile, d'en tirer une règle. Durant la guerre de Hollande (1672-1679), la tendance semble quelque peu inversée, probablement à  cause du fait que les grands armements sont principalement français. En février 1678, sur réquisition du comte d'Estrées en prévision de l'expédition de Curaçao, le gouverneur de Saint-Domingue lève 1200 flibustiers, boucaniers et habitants relevant de sa colonie. De ce nombre environ 200 seront identifiés comme sujets britanniques par le gouverneur général des Leeward Islands. Parmi ces Anglais, il y a, au début de l'occupation anglaise de la Jamaà¯que, beaucoup d'anciens soldats de l'armée de Venables. L'on retrouve la trace de l'un de ses hommes dans le livre de Dampier, un certain John Swan qui avait combattu en Irlande sous les ordres de Cromwell et qui mourut en 1686 en combattant les Espagnols en mer du Sud à  84 ans, longévité presque exceptionnelle pour l'époque.
Les colonies anglaises plus vieilles que la Jamaà¯que, celles des petites Antilles, de la Barbade, des Bermudes et surtout, celles de la Nouvelle-Angleterre fournissent aussi beaucoup de flibustiers, très souvent des créoles, c'est-à -dire des blancs nés en Amérique. Les flibustiers français qui possèdent déjà  une expérience maritime, quant à  eux, sont originaires des cités portuaires de l'Atlantique: surtout Dieppe, Saint-Malo, Nantes et La Rochelle, tous très impliqués dans le commerce avec les Antilles.
Les Normands marins ou non sont très présents: les Trébutor (de Dieppe), Vauquelin (probablement de Rouen) et Duglas (du Havre) tous fameux corsaires des années 1660 en sont des exemples. Les autres proviennent des provinces et villes du continent, quelques fois de Paris même. A Saint-Domingue, il y a ainsi beaucoup d'Angevins que le gouverneur D'Ogeron, lui-même un petit seigneur d'Anjou, a fait venir dans la colonie pour la peupler et qui participeront aux armements flibustiers.
Les relations de ces aventuriers français avec leurs homologues anglais ne sont pas toujours des meilleures, sources de maintes entreprises avortées. Des affinités religieuses peuvent aplanir la vieille rivalité entre les deux nations. En effet, grand nombre de protestants français ont émigré dans les colonies américaines où ils sont très actifs et souvent source de troubles. Le chevalier de Poincy n'avait-il pas envoyé Levasseur faire la conquête de la Tortue pour se débarrasser de ce huguenot trop influent? Chez les flibustiers même, les exemples sont nombreux. Pierre Lagarde, contremaître sur le vaisseau du sieur de Granmont, appartenait à  la Religion prétendue réformée. Moà¯se Vauquelin, associé de l'Olonnais, si l'on en juge par son prénom, l'était aussi.
En importance, juste après la majorité franco-anglaise, se retrouvent beaucoup de Néerlandais, surtout des provinces de Hollande et de Zélande. Depuis, que le traité de Westphalie a rendu leur nation amie et alliée de l'Espagne, ils se joignent aux flibustiers. Ils sont très réputés pour leur connaissance de la mer et fournissent souvent les chefs des flibustiers tant chez les Anglais que les Français. D'autres sujets du roi anglais, comme les écossais et les Irlandais se font aussi flibustiers. Des Scandinaves, sujets de la Suède ou du Danemark, qui jouent alors tous deux un rôle, quoique mineur, en Amérique, sont aussi représentés. D'autres sont Portugais, puisque de 1640 à  1667, le Portugal lutte contre l'Espagne pour retrouver son indépendance.
Même l'ennemi fourni aussi des effectifs: des mulâtres surtout, dont le modèle le plus achevé fut le capitaine Diego. Il y a aussi quelques noirs, affranchis après service rendu à  des flibustiers. Des Indiens s'embarquent aussi avec les flibustiers, mais, les différences étant trop grandes, ils agissent en quelques sortes d'auxiliaires et ne sont pas considérés comme des associés à  part entière.
Pour ces gens aux origines diverses, ce métier demeure un pis-aller. La plupart s'y engagent parce qu'il n'y a pas pour eux d'autres manière de survivre, comme le remarquait Pouancey, en 1677:
«Ils ne vont en descentes sur les Espagnols et en courses que pour avoir de quoi venir boire et manger au Petit-Goâve et à  la Tortue, et n'en partent jamais tant qu'il y a du vin ou qu'ils ont de l'argent ou des marchandises ou crédit pour en avoir.»
Certes quelques uns viennent à  la flibuste pour y acquérir de la gloire militaire, car celle-ci demeure un métier guerrier. D'autres, dans l'espoir de devenir riches, mais ceux-là  sont le plus souvent déçus. Rares sont, en effet, les flibustiers qui s'enrichissent à  la course.
Le sont moins ceux qui réussissent à  amasser un petit capital, en argent ou en esclaves, leur permettant de monter une modeste plantation de tabac. Outre par des pertes imputables aux Espagnols, aux maladies et aux naufrages, les flibustiers voient leur effectifs diminuer durant les périodes de paix de la France ou de l'Angleterre avec l'Espagne.
Cette tendance se remarque pour la Jamaà¯que, qui, ayant compté plus de 2000 flibustiers dans les années 1660, voit ses effectifs fondre à  partir de 1671 pour se stabiliser à  un peu moins de 1000 au milieu des années 1680. Quelques flibustiers se font alors contrebandiers ou marchands Plusieurs s'établissent planteurs dans les colonies anglaises et françaises. D'autres retournent vivre de la chasse ou, surtout à  partir des années 1670 et pour les Jamaà¯quains, se convertissent bûcherons dans la baie de Campêche ou aux Honduras pour y couper le bois de campêche.
A l'inverse, une entreprise, couronnée de succès, dont les participants rentreront à  la Jamaà¯que ou à  Saint-Domingue chargés de richesses, suscitera des vocations: l'espoir de richesses enflamme alors les esprits. En 1667, après l'affaire de Maracaà¯bo, plusieurs planteurs de Saint-Domingue abandonnent ainsi leurs champs de tabac pour joindre l'Olonnais dans son entreprise suivante aux Honduras.
Trois ans plus tard, Morgan, fort de sa réputation de chef heureux, attire pour son expédition de Panama, près de deux mille hommes, dont plusieurs n'ont jamais été flibustiers. Des difficultés liés à  l'exercice des métiers de planteurs, boucaniers ou bûcherons, contribueront aussi à  l'accroissement du nombre de flibustiers. Ce sera particulièrement le cas à  Saint-Domingue dans les années 1680, suite à  la chute de la petite industrie de tabac locale. Plusieurs planteurs prendront, ou reprendront, alors la mer. Ce qui expliquera, entre autres, l'augmentation du nombre de flibustiers dépendant de la colonie, qui passera de 1000 à  près de 3000 en 1684.
Les effectifs de la flibuste sont donc en continuel renouvellement. Cependant, les cas de flibustiers ayant fait ce métier dix, quinze et parfois même plus de vingt ans ne sont pas rares, mais ils ne constituent pas la majorité. Ils forment le noyau qui perpétue les différentes coutumes et traditions que les flibustiers ont fait leurs au cours des décennies. Lors des conseils de guerre, l'avis de ces anciens sera prépondérant, de même dans le choix des chefs, quand ils ne le seront pas eux-mêmes.
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