02 janvier 2001

l'encre noire des fréres de la côte

On a longtemps pu penser que la littérature avait façonné l'image de la piraterie ; une image romanesque à  souhait où le fracas des boulets le disputait à  quelques trésors enterrés et protégés par de vils boucaniers aux pilons déchirant le silence d'une auberge du front de mer. Il est vrai qu'avant que les fréres de la côte ne soient dignement traités par les historiens, leur légende noire n'a traversé les siécles et survécu dans l'imagerie populaire que grâce à  la plume avisée de nombreux auteurs. C'est une constante dans la littérature, le pirate a plu, plaît et plaira toujours, tant au public qu'aux écrivains.
Par Gregor Markowitz pour l'humanité

Grammont - GravureLe XIXe siécle va voir nombre d'auteurs se consacrer à  la littérature boucaniére, et quels auteurs ! Walter Scott (Pirate), Eugéne Sue (Kernock le pirate), Balzac (Argow le pirate), Victor Hugo (la Chanson du pirate, dans le recueil les Orientales) encore le Moonfleet de Faulkner, immortalisé au cinéma par Fritz Lang.En 1883, sort LE livre sur la piraterie, celui qui fit rêver et frémir des générations d'enfants, l'île au trésor, de Robert Louis Stevenson. De l'historien Michel Le Bris au dessinateur Hugo Pratt, tous " avouent " que les aventures de Jim Hawkins combinées à  une attirance pour les mystéres de la mer - dire que le roman fut achevé en Suisse ! - les ont grandement influencés.

La fin du XIXe siécle verra les premiers romans où la piraterie commence à  se teinter de nuances politiques, en particulier sous la plume d'un Italien, Emilio Salgari. De 1883 à  1904, Salgari, avec les aventures de Sandokan (personnage connu des plus téléphiles), met en scéne des pirates (les tigres de Monpracen) qui s'opposent aux colonialistes anglais. Dans un style entiérement consacré au roman d'aventures, Salgari oppose la fraîcheur de la révolte - même désespérée - à  la puissance du capitalisme qui tue toute générosité. Salgari, malheureusement jamais réédité en France, est l'un des auteurs fétiches du Mexicain Paco Ignacio Taibo II ou de Luis Sepulveda. Taibo II cite abondamment Salgari dans ses polars, qu'il considére comme l'un des premiers romanciers anti-impérialistes.

Le début du XXe siécle avec Peter Pan de James Mattew Barrie donne une nouvelle figure - mille fois utilisée - emblématique de la piraterie avec le Capitaine Crochet. Laissons là  cette remontée du temps, preuve est faite que les " butineurs des mers " trouvérent rapidement grâce aux yeux des romanciers et des plus fameux. 112 ans aprés Stevenson, un auteur suédois, Björn Larsson, donne la parole à  un certain Long John Silver, le " trés méchant " de l'île au trésor. Long John souhaite ainsi contredire les assertions de Jim Hawkins et faire état de sa version des faits en tant que " gentilhomme de fortune et ennemi de l'humanité ". Pour cela Long John s'adresse à  Daniel Defoe en train de rédiger son Histoire générale des plus fameux pirates. Le livre de Larsson est l'un des meilleurs romans sur la flibuste, où humour et esprit de liberté donnent un rebondissement inattendu à  l'ouvre de Stevenson. La même année, Daniel Vaxelaire, avec les Mutins de la liberté, prend à  son compte l'histoire de Libertalia (voir l'Humanité du 6 aoà»t et l'entretien ci-contre) où comment Misson et Carracioli ont mené leur quête de construction d'une société égalitaire au début du XVIIIe siécle au large de Madagascar. Une ouvre à  l'égal de celle de Larsson et qui, loin de trahir l'âme du récit de Defoe, renforce la dimension humaine et politique de cette incroyable utopie. On retrouve même des pirates chez Luis Sepulveda dans sa derniére anthologie, les Roses d'Atacama, où il rend hommage à  Klaus Störtebecker, Robin des bois de la mer du Nord qui fut pendu en 1 400 à  Hambourg.

Grammont - GravureEvidemment la science-fiction ne pouvait laisser filer une telle manne. Sur des mers ignorées, de Tim Power, met en scéne l'une des plus délirantes " utilisations " de Barbe Noire transformé en une sorte de prince vaudou dans un Nouveau Monde où la magie a légérement changé les choses. Une fois arrivés dans l'espace, les pirates de la S-F sont légion. De la Geste des princes-démons de Jack Vance aux contrebandiers de Dune, les galaxies ne sont pas sà»res.

Idem pour le Web ou le courant S-F cyberpunk a vu dans les hackers les dignes descendants des flibustiers. Les livres de William Gibson ou Bruce Sterling regorgent d'abordages de sites sur des océans de données. Ce panorama rapide et non exhaustif pour affirmer que oui, l'idéal pirate n'a nulle frontiére tant sur les mers qu'en littérature.

[FDLC2K1]Ombres

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