16 janvier 2009

LETTRE DE BENJAMIN ROSOUX

Les sites de soutien, organisation de concert
exemple parmi tant d'autre

Samedi 24 janvier 2009

Manifestation a 15h a Barbes !
Avec L Echo Ralleur et L Arme du Chahut.

L'EUROPEEN - 5 rue Biot - 75017 Paris - Metro "Place de Clichy".
19h
Spoke Orchestra, Bams, Dgiz, Arthur Ribo, Fantazio, Benjamin Colin, Surnatural Orchestra, Trio Boutin, Les Remouleurs, D de Kabal, Rodolphe Burger.

GALERIE IMPAIRE - 42 rue de Lancry - 75010 Paris - Metro "Jacques Bonsergent".
18h
Dan Charles Dahan (electro-acoustique) + Martin Bakero (poesie).
Salut a tous,

C est apres trois semaines de decompression et un temps de reflexion, de lecture intensive de tout ce qui s est dit sur cette affaire pendant que nous etions au trou, que j entame l ecriture de cette lettre.
Je suis sorti de Fresnes voila un peu plus de trois semaines maintenant, un peu deboussole. Je ne m attendais plus a etre libere aussi vite devant ce qui semblait etre un traquenard si bien orchestre.
Retrouver l air du dehors et l horizon du monde ont bien sur ete un grand soulagement, on s habitue si vite a voir son existence bornee par des murs et des grilles, qu il semble que ca fait des siecles quand bien meme ca ne fait au fond que 2 ou 3 semaines. Je remercie du fond du coeur tous ceux qui se sont demenes pour nous sortir de la. Je suis sur que malgre tout l arbitraire qui entoure les decisions de justice, cette pression nourrie par les comites, les parents, amis et tous ceux qui ont senti a raison que cette affaire les concernait au plus pres a eu un effet consequent. J aurais aime pouvoir le faire d une seule voix avec mes camarades co-inculpes mais comme vous le savez il nous est interdit de rentrer en contact d une quelconque maniere sous peine notamment de retourner en prison.

Mais je suis hante d une certitude : cette liberation releve d une «chance» inesperee, chance qui remonte a loin, celle d une part d etre ne blanc, d avoir eu l opportunite d etre diplome, d avoir des parents et des amis issus de cercles «privilégies» dont la mobilisation a sans nul doute plus de chance d etre entendue que si j etais ne ailleurs et dans un autre milieu. Je suis hante bien sur par le fait que deux de mes amis et camarades soient toujours incarceres pour des motifs aussi rocambolesques, mais aussi par la pensee que des centaines d autres personnes croisees notamment au cours de ma courte detention n ont jamais eu cette «chance» et pour cause. Les prisons francaises ont englouti au cours des dernieres annees toute une frange de la jeunesse de ce pays, cette frange jugee inassimilable, sans cesse harcelee, toujours «deja condamnee» et qui refuse toujours de rentrer dans les rangs etouffoirs de cette societe. Un fait saute aux yeux quand on frequente les cours de prison, une tres claire majorite de detenus est composee par des jeunes des quartiers populaires, dont certains ont ete abonnes aux sejours en prison. On remarque aussi le nombre effarant de personnes detenues, pour des periodes souvent tres longues, sous le regime de la detention provisoire, regime dit «exceptionnel». 6 mois, 9 mois, 1 an, 2 ans, 3 ans, sans proces et bien souvent sans preuve tangible. C est qu il est sans doute plus complique d avoir des 'temoignages de moralite', des garanties de representation recevables quant on vient de Villiers-le-Bel, Aubervilliers ou Bagneux, quand vos parents sont consideres comme etrangers, qu ils ne maitrisent pas la langue des magistrats et des media ou quand ils ne justifient pas d une activité professionnelle stable et surtout reconnue.

Pas de miserabilisme toutefois, la solidarite se forge aussi derriere les murs des prisons, la politique penale de ce gouvernement est en train de fabriquer une bombe a retardement. Plus on bourrera jusqu a la gueule les geoles de ce pays, plus des destins vont s y croiser et dresser des ponts entre tous ces milieux si savamment separes a l exterieur. Le rapprochement entre les traitements politiques, policiers et mediatiques (cette triade tend a devenir une expression consacree, peut etre faudrait-il penser a les fusionner officiellement !), de l affaire de Tarnac et celle de Villiers-Le-Bel l annee derniere est pertinente a plus d un titre...
Novembre 2005 (Clichy sous Bois), CPE, election presidentielle, Villiers-le-Bel, LRU, ... deux parties de la jeunesse que tout a priori oppose, nourrissent conjointement la paranoia du pouvoir.
La reponse ne se fait pas attendre et prend les meme traits. D un cote «lutte contre le regne des bandes» pour justifier la repression dans les quartiers apres les emeutes, de l autre, fabrication de toutes pieces d une «mouvance anarcho-autonome», de «groupuscules d ultra-gauche», comme repoussoirs a la revolte diffuse qui essaime au fil des mouvements de la jeunesse etudiante ou «precaire». Dans les deux cas, une politique de communication de longue haleine pour dessiner les contours de «l ennemi interieur», qui debouche bruyamment sur des operations coup de poing sur-mediatisees. Demonstrations de force demesurees, curees mediatiques, embastillements purs et simples. Faut-il le rappeler, outre les inculpes et incarceres multiples de novembre 2005, cinq personnes sont toujours incarcerees apres le coup de filet de Villiers-le-Bel et attendent un proces qui ne vient pas, faute de preuves. Aujourd hui c est notre tour, mais la chasse aux dits «anarcho-autonomes» est ouverte depuis plus d un an, six personnes au moins ont deja ete interpellees et entendues devant les juridictions anti-terroristes depuis decembre 2007 pour des faits ou des suspicions qui n avaient jamais releve d un tel regime juridique jusque la. L etau se resserre et tous les coups semblent desormais permis. Il a deja ete developpe largement dans les communiques des comites de soutien a quel point le recours aux outils de l anti-terrorisme represente un glissement significatif des procedes de gouvernement et de la «gestion» de la contestation. Des scenarii deja vus dans plusieurs pays au cours des dernieres annees (USA, Royaume-Uni, Allemagne, Italie...) debarquent avec fracas en France et signent l entree dans un regime ou l exception devient la regle. Ces procedures n ont la plupart du temps rien a voir avec le «terrorisme» et ce quelle que soit la definition qu on en donne, elle repondent a la logique millenaire de «en reprimer un pour en apeurer cent». En d autres temps on en aurait pendu «quelques-uns» a l entree de la ville, pour l exemple.

Dans notre cas, il est tres vite apparu que «l affaire des sabotages de la SNCF» n etait qu un pretexte opportun pour deployer au grand jour une operation de communication et de «neutralisation preventive» prevue de longue date (depuis l arrivee de MAM au ministere de l interieur). La rapidite de la mise en branle de «l'operation Taiga» et l absence quasi totale d elements materiels au dossier, meme apres les perquisitions et les interrogatoires croises, devoile tres vite a qui n est pas occupe a hurler avec les loups, la grossierete du montage policier. Il aura pourtant ete fait de severes efforts d assaisonnement de cette histoire un peu fadasse, un «groupuscule en rupture de ban et s adonnant a la clandestinite», un «chef inconteste», son «bras droit», ses «lieutenants», des «relations amicales» ménagees dans le village par «pure strategie». Mais rien n y fait les gens croient definitivement et heureusement plus «a ce qu ils vivent qu a ce qu ils voient a la tele».

Une fois repondu pour chacun a la question de sa participation ou non aux «actes de degradation» sur les catenaires de la SNCF, reste cet immense gloubi-boulga qu est l accusation de «association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste». C est d ailleurs le seul chef d accusation qui pese sur la plupart des inculpes dont moi-meme.
Ce chef d inculpation repose sur un faisceau d informations et d hypotheses disparates, reunies par les services de renseignement, mais que seule une prose policiere pour le moins imaginative permet d articuler entre elles d une maniere aussi unilaterale. Les liens d amitie, politiques chacun a leur maniere, deviennent sans l ombre d un doute des affiliations organisationnelles voire hierarchiques. On fait d une serie de rencontres, de la participation de quelques uns a des manifestations, de la presence de certains autres relevee au cours des mouvements sociaux qui ont emaille les dernieres annees, les presages de la raison d etre strictement 'politique' (au sens le plus classique et plat du terme) d un «groupe» identifiable et isolable comme «cellule» (cancereuse ?). Cela est une contre verite absolue et determine un certain nombre de contre-sens vis a vis de ce dont nous avons ete diversement porteurs au fil des annees. Le delit «d association» permet d englober d un seul coup l entierete de l existence des personnes visees et tout peut y devenir un element a charge : lectures, langues parlees, savoir-faire, relations a l etranger, mobilite, absence de telephone portable, rupture avec son 'plan de carriere' ou avec son extraction sociale, vie amoureuse et j en passe.
L utilisation de ces outils «antiterroristes» n est finalement rien d autre que l indice de l agressivite propre a tout pouvoir qui se sait de toutes parts menace. Il ne s agit pas tant de s en indigner. Il s agit en tout cas de ne pas, ou plus, etre dupe de cette operation de police politique. Elle n est que la tentative, des tenants du pouvoir, de communiquer au «corps social» leur propre paranoia, qui, elle, n est peut etre pas totalement sans fondement. On parle beaucoup autour de cette affaire de l essai intitule «L insurrection qui vient» et tout le monde y va de son hypothese pour dire QUI est derriere cette signature qu est le «comite invisible».

Cette question n est interessante que d un point de vue strictement policier. Le choix editorial d anonymat qui a ete fait doit etre entendu, a mon avis, non comme une particuliere paranoia des auteurs (meme si elle se trouverait aujourd hui cent fois justifiee) mais par l attachement a une parole essentiellement collective. Non pas la parole d un collectif d auteurs qu on pourrait denombrer, mais une parole qui s est forgee dans les aleas d un mouvement ou la pensee ne saurait plus etre attribuee a tel ou tel en tant qu auteur. Ce livre suscite beaucoup de desaccords, voire de reprobation y compris parmi nous qui avons pourtant fait l effort de le lire et le comprendre. Il me semble que c est l objet meme de l ecriture politique : mettre ce qui demande a etre debattu sans delai au centre, le rendre incontournable, quitte a etre cru et sans nuance. Tous ceux qui, par ailleurs, pretendent savoir QUI est l auteur de ce livre mentent purement et simplement ou prennent leur hypothese pour la realite.

Les «lectures» recentes de ce livre, notamment celle de la police et de quelques criminologues de salon posent a beaucoup la question de la «radicalite». Cette «radicalite» nous est renvoyee a nous comme trait d identite, voir comme chef d inculpation qui ne dit pas son nom. Je ne me sens pas particulierement radical, au sens d etre pret a accorder les constats, les pensees et les actes (ce que plus personne ne fait malheureusement et depuis longtemps). Par contre la situation est radicale et l est de plus en plus. Elle determine des mouvements de radicalisation diffus, qui ne doivent rien a quelque groupuscule que ce soit. Chaque jour dans mon activite d epicier notamment ou quand je sers au bistrot, ou bien encore quand j etais en prison, je discute, j ecoute ce qui se dit, se pense, se ressent, et je me sens parfois bien modere face a la colere qui monte un peu partout. Ce gouvernement a sans doute raison d avoir peur que la situation sociale lui echappe, mais nous ne servirons pas sa campagne de terreur preventive, car le vent tourne deja. Il vient de Mediterranee.

Il y aurait encore beaucoup de choses a dire, de doutes a lever, de manipulations a dejouer, mais tout ca ne fait que commencer. Ainsi ma position est en phase avec celle des comites de soutien qui fleurissent un peu partout : abandon des charges de «entreprise terroriste» et «d association de malfaiteurs», liberation immediate de Julien et Yldune et de tous ceux et celles qui sont incarceres a ce titre, pour commencer...

Viendra le moment ou on devra bien nous rendre des comptes pour le prejudice enorme qu on nous a fait subir, a nous, a Tarnac, mais aussi pour ce qui n est qu une provocation supplementaire a l encontre de tout ce qui ne se resigne pas au desastre en cours.

Benjamin, epicier-terroriste.

Aucun commentaire: