La piraterie est aussi ancienne que la marine elle-même. Rome puis Byzance tentent en vain de se faire respecter en Méditerranée, sans parvenir à éradiquer le fléau qui perdure au Moyen Age tout en s'étendant en Manche et en Atlantique.
Par Philippe Jacquin
Dés le Ve siécle av. J.-C., les Romains avaient à faire face à la piraterie endémique corse et sarde. L'installation de colonies romaines contribua à réduire le danger. Les menaces les plus graves venaient de deux régions difficiles d'accés. En effet, les Romains, ne pouvant saisir les navires pirates, tentaient de réduire leurs bases arriére. Sur les rivages nord de l'Apennin, les Ligures lançaient des raids sur de petits bateaux. Rome, aprés des années de campagne, s'installa sur la côte et déporta une partie de la population en Italie centrale. Dans l'Adriatique, la côte illyrienne, parsemée d'îles et d'échancrures, demeurait le repaire de « peuples sauvages » : Istriens, Dalmates et Liburnes, excellents constructeurs de navires et prompts à entreprendre des raids sur l'Italie. Le royaume de la reine Teuta devint un véritable « Etat prédateur » : seule l'intervention des légions mit fin à son régne en 219 av.
J.-C.Rome était embarrassée pour répondre au désarroi de Rhodes. Les Romains, eux aussi, avaient eu l'occasion de souffrir de la piraterie crétoise. Vers 189 av. J.-C., quatre mille citoyens romains étaient retenus dans l'île, mais, engagée dans de longues campagnes militaires contre Anthiochos, Rome hésitait encore à intervenir. Les marchands italiens s'accommodaient de la piraterie dans la mesure où elle leur fournissait une abondante main-d'oeuvre servile. L'île de Délos permettait de fructueux échanges avec les pirates ciliciens, crétois, étoliens. Toutefois, l'effondrement rhodien laissait le champ libre à des hommes peu enclins à la mansuétude avec leurs partenaires commerciaux.
Dés le IIe siécle av. J.-C., des pirates s'aventurent vers la Sicile, attaquent les convois romains et l'épisode de la capture du jeune César dans les Sporades est révélateur de l'insécurité en Méditerranée orientale.
Sur la côte méridionale de l'Asie Mineure, en Cilicie, prospérent des bandes de pirates, cachées dans un labyrinthe d'îles. Ils ont construit deux puissantes forteresses, d'où ils narguent les fiers Romains. Mais leur alliance avec Mithridate le Grand, roi le plus puissant d'Asie Mineure, déchaîne la colére de Rome. Plusieurs expéditions réduisent temporairement la piraterie.
Au Ier siécle av. J.-C., les pirates attaquent les navires chargés de blé, s'emparent de préteurs et de consuls, et, affront suprême, osent même s'aventurer jusqu'à Ostie. Cette fois-ci, la coupe est pleine : en 67 av. J.-C., le sénat décide de confier à Pompée la charge de débarrasser Rome de ce fléau. Avec cinq mille galéres et cent vingt mille hommes, Pompée quadrille la Méditerranée, détruit les forteresses de Cilicie, ratisse toutes les îles, propose aux irréductibles la soumission... ou la crucifixion. Les pirates sont enrôlés sur la flotte romaine ou dirigés vers des colonies agricoles. La Méditerranée devient la mare nostrum de Rome.
La paix maritime de l'Empire est troublée par une piraterie endémique qui prend la forme d'un soulévement contre l'ordre romain. L'insécurité maritime la plus grande régne sur la « frontiére », sur les mers périphériques de l'Empire, l'Atlantique, le Pont, la mer Rouge. Là , la piraterie prospére malgré la présence de la flotte romaine, incapable de surveiller d'immenses espaces loin de ses ports.
A partir du IIIe siécle apr. J.-C., les grandes invasions s'accompagnent d'une grave crise économique et politique propice au développement de la piraterie. La pax romana n'est plus qu'un souvenir. L'ombre des pirates s'étend à nouveau sur la Méditerranée.
La mer constitue l'élément de cohésion de l'immense Empire byzantin et souvent l'unique moyen de maintenir le contact avec des provinces qui lui procurent toute sa richesse. Le « droit de la mer » byzantin se résume à une condamnation ferme de la course et de la piraterie, assimilées à des actes de brigandage. Byzance lutte avec plus ou moins de succés contre la piraterie « traditionnelle », celle des Ciliciens par exemple. Mais deux événements, la conquête arabe au VIIe siécle et l'arrivée des croisés au XIIIe siécle, vont ébranler la thalassocratie byzantine. Portés par le souffle de la foi, les Arabes se lancent dans une guerre sainte où tous les moyens sont bons pour affaiblir l'adversaire. Les Etats sous domination musulmane organisent une guerre de course qui leur permet d'alimenter un marché aux esclaves lucratif et d'enrichir les ports où sont écoulées les prises. Les conséquences de la piraterie arabe ne tardent pas à se faire sentir. Les régions exposées aux corsaires se dépeuplent. Le rachat des captifs draine l'or byzantin vers les Etats musulmans : « boucliers de la foi », les Byzantins arrachent avec leurs sacs de piéces d'or des centaines de chrétiens à un destin d'esclave. Dans ces temps difficiles, Byzance doit également faire face aux pirates de la côte italienne.
Le crime profite aux cités marchandes : en premier lieu aux deux républiques maritimes, Venise et Gênes.
En 1204, les croisés s'emparent de Constantinople. La perte de leur capitale est ressentie par les Byzantins comme un véritable acte de piraterie, perpétré par une bande de soudards ivres de pillage et de sang. Les croisés exercent leurs talents de brigands sur les côtes d'Asie Mineure et participent à un fructueux commerce d'esclaves. Au XIIIe siécle, mais surtout au XIVe siécle, cette industrie est florissante : « Turcs » et « Maures » sont vendus sur les marchés crétois à des Catalans, des Vénitiens et des Génois.
Mais les cités maritimes ne vivent pas seulement du commerce des esclaves. Gênes et Venise entretiennent des échanges extrêmement avantageux avec l'Orient. Par leur intermédiaire, épices diverses et variées, soieries, ivoire et or affluent en Occident. Les pirates catalans et siciliens, alléchés par ces mirifiques richesses, sont à l'affà»t et tentent de s'emparer des galéres contenant ces trésors.
Aprés 1350, les bases pirates se multiplient sur la côte sicilienne, aux îles Lipari et à Malte. Les chevaliers de Malte ferment volontiers les yeux sur les agissements de tous ces aventuriers venus de l'Europe entiére qui se livrent à une piraterie, source de profits considérables pour l'île. Les victimes, Génois et Vénitiens, lancent sans grand succés des opérations sur l'île en 1381.
A la même époque, des pirates musulmans venus de Tunisie s'attaquent à la Sicile, perturbant le travail agricole. Partout sur les côtes siciliennes, se dressent des tours de guet. Acculés à la misére, les paysans des îles rejoignent les pirates et s'engagent dans la lutte contre les Sarrasins « perfides ».
Sous couvert de religion, la rapine, la violence, la traite des esclaves prospérent. Dans les ports méditerranéens, aux XIVe et XVe siécles, on ne pirate pas, on pratique le corso. Far il corso , faire le cours, devient une « industrie nationale » : moyen de subsistance pour les populations pauvres, survie économique, voire raison d'être pour les ports et les Etats.
En Europe du Nord-Ouest, la distinction entre course et piraterie demeure tout aussi floue. Aprés le choc des invasions vikings, l'Europe atlantique a connu un ralentissement du commerce maritime. Au XIIIe siécle, un « boom » économique le relance : le cabotage se développe, la pêche prospére, un commerce international se constitue sur deux grands axes : l'un vers l'est, en direction de Novgorod par Bruges et Là¼beck ; l'autre vers l'ouest, des Pays-Bas vers l'Angleterre. Anglais et marchands hanséatiques rallient l'Aquitaine et commercialisent le sel des côtes françaises de l'Atlantique ; Vénitiens et Génois naviguent à destination de Londres, Anvers et Bruges.
Assoupie l'hiver, la piraterie s'éveille au printemps pour guetter le grand commerce maritime : prés des détroits danois, les navires baltes, dans la Manche, les Vénitiens, les Hollandais chargés du sel de la baie de Bourgneuf, ou les Anglais avec leurs lourdes barriques de vin de l'Aquitaine. Au printemps et à l'automne, les brumes et les brouillards qui paralysent les lourdes nefs sont propices aux embuscades. Lorsque les prises sont minces, on n'hésite pas à pourchasser les bateaux de pêche dans les eaux de la Scanie ou de la mer du Nord. Pour les habitants des petits ports ou des îles pauvres, exclus de la richesse commerciale, la piraterie est une aubaine. A Gotland, Helgoland, Wight, Batz, Ouessant ou Groix, le passage du moindre navire suscite la convoitise. Les îliens sont toujours prêts à accueillir des vaisseaux cherchant un abri lors du gros temps, quitte d'ailleurs, si le rapport de force l'autorise, à se saisir du butin et de l'équipage.
La violence est alors le lot quotidien des gens de mer. Les solidarités nationales n'existent pas, la vendetta sert de loi. Dans de nombreuses affaires locales, injures et provocations lancées par les marins et les pêcheurs ne sont que des prétextes pour se livrer à la piraterie. Aux XIIIe et XIVe siécles, la Manche et l'Atlantique fourmillent de baleiniers, armés par des nobles « cherchant l'aventure sur mer », écrémant tout le trafic, faisant peu de cas des amis, alliés, ignorant les sauf-conduits, les trêves ou les traités.
Bordelais, Rochelais, Bretons, Basques, Anglais connaissent les routes maritimes, il leur suffit d'attendre les proies. Aprés l'assaut, les prisonniers, jetés dans la cale, roués de coups, se voient extorquer la promesse de renoncer à toute réparation. Parfois, les marins sont détroussés, abandonnés dans une petite barque sans vivres et sans eau ou sur le navire dont on a attaché les voiles. On n'hésite pas à mutiler l'équipage ou plus simplement à le passer par-dessus bord ! Sur mer, l'esprit chevaleresque est bien loin.
La violence maritime devient endémique et constitue une insupportable entrave aux intérêts économiques des nations européennes.
* Spécialiste de l'Amérique du Nord, Philippe Jacquin s'intéresse aux groupes marginaux en contact avec la nature. Il est l'auteur de Sous le pavillon noir, Pirates et flibustiers (Découvertes Gallimard, 2001) dont le texte qui suit est extrait.
[FDLC2K1] - Ombres
Par Philippe Jacquin
Dés le Ve siécle av. J.-C., les Romains avaient à faire face à la piraterie endémique corse et sarde. L'installation de colonies romaines contribua à réduire le danger. Les menaces les plus graves venaient de deux régions difficiles d'accés. En effet, les Romains, ne pouvant saisir les navires pirates, tentaient de réduire leurs bases arriére. Sur les rivages nord de l'Apennin, les Ligures lançaient des raids sur de petits bateaux. Rome, aprés des années de campagne, s'installa sur la côte et déporta une partie de la population en Italie centrale. Dans l'Adriatique, la côte illyrienne, parsemée d'îles et d'échancrures, demeurait le repaire de « peuples sauvages » : Istriens, Dalmates et Liburnes, excellents constructeurs de navires et prompts à entreprendre des raids sur l'Italie. Le royaume de la reine Teuta devint un véritable « Etat prédateur » : seule l'intervention des légions mit fin à son régne en 219 av.
J.-C.Rome était embarrassée pour répondre au désarroi de Rhodes. Les Romains, eux aussi, avaient eu l'occasion de souffrir de la piraterie crétoise. Vers 189 av. J.-C., quatre mille citoyens romains étaient retenus dans l'île, mais, engagée dans de longues campagnes militaires contre Anthiochos, Rome hésitait encore à intervenir. Les marchands italiens s'accommodaient de la piraterie dans la mesure où elle leur fournissait une abondante main-d'oeuvre servile. L'île de Délos permettait de fructueux échanges avec les pirates ciliciens, crétois, étoliens. Toutefois, l'effondrement rhodien laissait le champ libre à des hommes peu enclins à la mansuétude avec leurs partenaires commerciaux.
Dés le IIe siécle av. J.-C., des pirates s'aventurent vers la Sicile, attaquent les convois romains et l'épisode de la capture du jeune César dans les Sporades est révélateur de l'insécurité en Méditerranée orientale.
Sur la côte méridionale de l'Asie Mineure, en Cilicie, prospérent des bandes de pirates, cachées dans un labyrinthe d'îles. Ils ont construit deux puissantes forteresses, d'où ils narguent les fiers Romains. Mais leur alliance avec Mithridate le Grand, roi le plus puissant d'Asie Mineure, déchaîne la colére de Rome. Plusieurs expéditions réduisent temporairement la piraterie.
Au Ier siécle av. J.-C., les pirates attaquent les navires chargés de blé, s'emparent de préteurs et de consuls, et, affront suprême, osent même s'aventurer jusqu'à Ostie. Cette fois-ci, la coupe est pleine : en 67 av. J.-C., le sénat décide de confier à Pompée la charge de débarrasser Rome de ce fléau. Avec cinq mille galéres et cent vingt mille hommes, Pompée quadrille la Méditerranée, détruit les forteresses de Cilicie, ratisse toutes les îles, propose aux irréductibles la soumission... ou la crucifixion. Les pirates sont enrôlés sur la flotte romaine ou dirigés vers des colonies agricoles. La Méditerranée devient la mare nostrum de Rome.
La paix maritime de l'Empire est troublée par une piraterie endémique qui prend la forme d'un soulévement contre l'ordre romain. L'insécurité maritime la plus grande régne sur la « frontiére », sur les mers périphériques de l'Empire, l'Atlantique, le Pont, la mer Rouge. Là , la piraterie prospére malgré la présence de la flotte romaine, incapable de surveiller d'immenses espaces loin de ses ports.
A partir du IIIe siécle apr. J.-C., les grandes invasions s'accompagnent d'une grave crise économique et politique propice au développement de la piraterie. La pax romana n'est plus qu'un souvenir. L'ombre des pirates s'étend à nouveau sur la Méditerranée.
La mer constitue l'élément de cohésion de l'immense Empire byzantin et souvent l'unique moyen de maintenir le contact avec des provinces qui lui procurent toute sa richesse. Le « droit de la mer » byzantin se résume à une condamnation ferme de la course et de la piraterie, assimilées à des actes de brigandage. Byzance lutte avec plus ou moins de succés contre la piraterie « traditionnelle », celle des Ciliciens par exemple. Mais deux événements, la conquête arabe au VIIe siécle et l'arrivée des croisés au XIIIe siécle, vont ébranler la thalassocratie byzantine. Portés par le souffle de la foi, les Arabes se lancent dans une guerre sainte où tous les moyens sont bons pour affaiblir l'adversaire. Les Etats sous domination musulmane organisent une guerre de course qui leur permet d'alimenter un marché aux esclaves lucratif et d'enrichir les ports où sont écoulées les prises. Les conséquences de la piraterie arabe ne tardent pas à se faire sentir. Les régions exposées aux corsaires se dépeuplent. Le rachat des captifs draine l'or byzantin vers les Etats musulmans : « boucliers de la foi », les Byzantins arrachent avec leurs sacs de piéces d'or des centaines de chrétiens à un destin d'esclave. Dans ces temps difficiles, Byzance doit également faire face aux pirates de la côte italienne.
Le crime profite aux cités marchandes : en premier lieu aux deux républiques maritimes, Venise et Gênes.
En 1204, les croisés s'emparent de Constantinople. La perte de leur capitale est ressentie par les Byzantins comme un véritable acte de piraterie, perpétré par une bande de soudards ivres de pillage et de sang. Les croisés exercent leurs talents de brigands sur les côtes d'Asie Mineure et participent à un fructueux commerce d'esclaves. Au XIIIe siécle, mais surtout au XIVe siécle, cette industrie est florissante : « Turcs » et « Maures » sont vendus sur les marchés crétois à des Catalans, des Vénitiens et des Génois.
Mais les cités maritimes ne vivent pas seulement du commerce des esclaves. Gênes et Venise entretiennent des échanges extrêmement avantageux avec l'Orient. Par leur intermédiaire, épices diverses et variées, soieries, ivoire et or affluent en Occident. Les pirates catalans et siciliens, alléchés par ces mirifiques richesses, sont à l'affà»t et tentent de s'emparer des galéres contenant ces trésors.
Aprés 1350, les bases pirates se multiplient sur la côte sicilienne, aux îles Lipari et à Malte. Les chevaliers de Malte ferment volontiers les yeux sur les agissements de tous ces aventuriers venus de l'Europe entiére qui se livrent à une piraterie, source de profits considérables pour l'île. Les victimes, Génois et Vénitiens, lancent sans grand succés des opérations sur l'île en 1381.
A la même époque, des pirates musulmans venus de Tunisie s'attaquent à la Sicile, perturbant le travail agricole. Partout sur les côtes siciliennes, se dressent des tours de guet. Acculés à la misére, les paysans des îles rejoignent les pirates et s'engagent dans la lutte contre les Sarrasins « perfides ».
Sous couvert de religion, la rapine, la violence, la traite des esclaves prospérent. Dans les ports méditerranéens, aux XIVe et XVe siécles, on ne pirate pas, on pratique le corso. Far il corso , faire le cours, devient une « industrie nationale » : moyen de subsistance pour les populations pauvres, survie économique, voire raison d'être pour les ports et les Etats.
En Europe du Nord-Ouest, la distinction entre course et piraterie demeure tout aussi floue. Aprés le choc des invasions vikings, l'Europe atlantique a connu un ralentissement du commerce maritime. Au XIIIe siécle, un « boom » économique le relance : le cabotage se développe, la pêche prospére, un commerce international se constitue sur deux grands axes : l'un vers l'est, en direction de Novgorod par Bruges et Là¼beck ; l'autre vers l'ouest, des Pays-Bas vers l'Angleterre. Anglais et marchands hanséatiques rallient l'Aquitaine et commercialisent le sel des côtes françaises de l'Atlantique ; Vénitiens et Génois naviguent à destination de Londres, Anvers et Bruges.
Assoupie l'hiver, la piraterie s'éveille au printemps pour guetter le grand commerce maritime : prés des détroits danois, les navires baltes, dans la Manche, les Vénitiens, les Hollandais chargés du sel de la baie de Bourgneuf, ou les Anglais avec leurs lourdes barriques de vin de l'Aquitaine. Au printemps et à l'automne, les brumes et les brouillards qui paralysent les lourdes nefs sont propices aux embuscades. Lorsque les prises sont minces, on n'hésite pas à pourchasser les bateaux de pêche dans les eaux de la Scanie ou de la mer du Nord. Pour les habitants des petits ports ou des îles pauvres, exclus de la richesse commerciale, la piraterie est une aubaine. A Gotland, Helgoland, Wight, Batz, Ouessant ou Groix, le passage du moindre navire suscite la convoitise. Les îliens sont toujours prêts à accueillir des vaisseaux cherchant un abri lors du gros temps, quitte d'ailleurs, si le rapport de force l'autorise, à se saisir du butin et de l'équipage.
La violence est alors le lot quotidien des gens de mer. Les solidarités nationales n'existent pas, la vendetta sert de loi. Dans de nombreuses affaires locales, injures et provocations lancées par les marins et les pêcheurs ne sont que des prétextes pour se livrer à la piraterie. Aux XIIIe et XIVe siécles, la Manche et l'Atlantique fourmillent de baleiniers, armés par des nobles « cherchant l'aventure sur mer », écrémant tout le trafic, faisant peu de cas des amis, alliés, ignorant les sauf-conduits, les trêves ou les traités.
Bordelais, Rochelais, Bretons, Basques, Anglais connaissent les routes maritimes, il leur suffit d'attendre les proies. Aprés l'assaut, les prisonniers, jetés dans la cale, roués de coups, se voient extorquer la promesse de renoncer à toute réparation. Parfois, les marins sont détroussés, abandonnés dans une petite barque sans vivres et sans eau ou sur le navire dont on a attaché les voiles. On n'hésite pas à mutiler l'équipage ou plus simplement à le passer par-dessus bord ! Sur mer, l'esprit chevaleresque est bien loin.
La violence maritime devient endémique et constitue une insupportable entrave aux intérêts économiques des nations européennes.
* Spécialiste de l'Amérique du Nord, Philippe Jacquin s'intéresse aux groupes marginaux en contact avec la nature. Il est l'auteur de Sous le pavillon noir, Pirates et flibustiers (Découvertes Gallimard, 2001) dont le texte qui suit est extrait.
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